«Instinct paternel» et insémination artificielle: La construction du désir de paternité dans la médecine de l’infertilité des Trente Glorieuses
Intervention dans le panel Médecine, nature et genre [Panel #43]
À la fin des années 1960, la journaliste et écrivaine Ménie Grégoire anime une émission radio portant sur l’insémination artificielle dans le traitement de l’infertilité conjugale. De nombreux·ses auditeur·ices appelent pour donner leur opinion sur le procédé. L’une d’entre eux·elles déplore un dévoiement des techniques procréatives au service du désir d’enfant : «pour moi ce n’est plus de l’instinct maternel et paternel, c’est de l’instinct animal».
Initialement développée aux États-Unis et en Grande-Bretagne, l’insémination artificielle entre dans les débats et pratiques de la médecine de l’infertilité française et suisse romande au tournant des années 1950. La pratique, qui est alors l’une des seules formes de traitement de l’infertilité masculine, consiste à introduire du sperme dans l’utérus, sans qu’il n’y ait de rapport sexuel. Décrite comme «artificielle» en opposition à un acte hétérosexuel procréatif qui serait, lui, «naturel», la technique est très controversée lorsqu’elle implique le don de sperme d’une personne tierce, dans les cas où le sperme du mari se révèle tout à fait stérile. Elle soulève en effet des craintes autour de la caractérisation juridique de la filiation mais aussi sur les conséquences psychologiques pour les pères et leur capacité à tisser des liens avec des enfants qui ne leur sont pas liés génétiquement.
Cette communication propose de revenir sur l’histoire des débats, discours et pratiques autour de l’insémination artificielle pendant les Trente Glorieuses en France et en Suisse romande. Plus particulièrement, il s’agira d’interroger la manière dont cette technique déstabilise (ou non) l’association de la nature et de la reproduction au féminin, à travers la construction du désir de paternité.