Bestialités et masculinités: représentations de la monstruosité dans les injures de l’Ancien Régime

Selon les conceptions dichotomiques de l’Ancien Régime soutenues par le discours médical et religieux, la virilité se fonde sur une présence conquérante de l’espace, à la fois visuel, sonore et matériel. Le masculin, pensé dans des arguments naturalistes au XVIIIe siècle, s’associe de manière complexe avec la violence: valorisé lorsqu’il est jugé rationnel et mesuré, l’usage de la force devient illicite lorsque le comportement délictueux porte atteinte à l’ordre social et menace le monopole étatique.

Parmi les violences citées au tribunal se trouve l’injure, omniprésente dans les procédures liées aux conflits interpersonnels. Dans une société régie par l’honneur, l’offense verbale peut composer en elle-même un délit incriminant ou s’insérer dans un continuum du mot au geste. Cette pratique vindicative est soumise à un dimorphisme sexué: selon les statistiques criminelles, les procédures présentent une surreprésentation masculine, aussi bien du côté des incriminés que des «victimes». Action performative, la violence verbale participe à affirmer ou à ébranler des traits de la masculinité. Ce marqueur de genre joue donc un rôle clé dans les dynamismes sociaux de l’époque moderne.

Porter atteinte à un autre dans son honneur vise bien souvent à le renvoyer vers l’altérité. Inscrites dans une hiérarchie des espèces, les insultes flirtent avec le champ de la bestialité. Le langage injurieux exprime les limites de la normalité. L’étude des champs lexicaux employés, croisée avec le discours normatif et les circonstances micro-historiques, amène ainsi à interroger les frontières des rôles et des pratiques masculines, entre le convenable, le déviant et le naturel.

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